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REVUE CRITIQUE
LIVRES NOUVEAUX
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REVUE CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX
PlBllÉS VmUM l'AMÉE 1859 ,
7
tyv'^mee
PARIS ,
AB. CHERBULIEZ ET C% LIBRAIRES, Rue de Touinon , 17.
GENÈVE, MÊME MAISON. 1839,
licvue Critique
DES LIVRES NOUVEAUX.
LITTERATURE, HISTOIRE.
LA POPULARITÉ, coraéflieen'5 actes, envers, par Casimir Detavigne. Paris, 1839. In-S, 6 fr.
Avant d'avoir lu la pièce de M. Delavigiie, il me paraissait douteux que la popularité pût offrir le sujet d'une comédie. Cette lecture m'a convaincu qu'en effet il n'y avait rien de comique dans cette gloire enivrante qui aveugle ses adora- tem'S et leur propare une chute d'autant plus terrible qu'elle les a d'abord placés plus haut. La popularité fournirait plu- tôt un drame qu'une comédie; mais M. C. Delavigne n'a fait ni l'un, ni l'autre. Sa pièce n'offre guère qu'une clissertation politique dialoguée. Le style en est noble , la poésie en gé- néral pui-e et harmonieuse , les pensées hautes et empreintes d'une sage modération ; en un mot , la plupart des bonnes et belles qualités de l'auteur s'y retrouvent; mais il n'y a ni action , ni intérêt , ni drame , ni comédie. Si quelques inten- tions comiques ont été semées çà et là , elles sont si pâles , si faibles qu'elles n'ont pas même le pouvoir d'exciter le rire. Enfin , et c'est peut-être le défaut capital de cette pièce , l'au- tem- a voulu évidemment peindre notre temps , mais il n'a pas osé fronder ouvertement les travers c|u'il attaquait ; il s'est cru obligé de les déguiser sous le masque d'une autre époque et d'un autre pays. Il en résulte que le tableau produit fort
1)eu d'effet , parce que les couleurs n'en sont pas d'accord avec e fond ; ce sont des Français qui parlent et agissent sous le vê- tement anglais ; ce sont des hommes d'aujourd'hui avec leurs convictions éphémères, leur politique de salons, leurs mes- quines rivalités ; c'est une suite d'incidens empruntés à l'his- toire contempoi-aine , mais antidatés de plus d'un siècle , ce qui leiu- ôte toute vérité.
2 LITTÉRATURE ,
Edouard , h; liéros de la Populnriu':, est lui orateur dont Té- loqucncc donihie le parlement et dont l'opposition menace d'être fatale au ministère. Les circonstances sont critiques ; le prétendant s'avance , les partis s'agitent ; on reproche au {jou- vernement de ne montrer aucune énergie et de ne rien faire pour (ontenter le peuple, ])our s'assurer son appui. Ln ami intime d'Edouard , IMortins, rédacteur d'iuie feuille politique , est un des cliefs du parti populaire. Il complote avec Edouard le renversement du ministère , et seul , il porte ses vues ])lus loin , il veut celui de la monarchie. Républicain aident , il en- tretient des intelligences parmi les ouvriers et a sous ses ordres plusieurs chefs subalternes d'associations politiques. L'enter- rement d'un membi'e éminent de l'opposition parlementaire , qui vient de mourir, lui semble une occasion excellente pour essayer une levée de boucliers. Dans ce but il chcixhe donc à s'assurer l'approbation d'Edouard d'une manière détournée, car il n'ose d'abord lui dévoiler ses véritables intentions. L'é- lection du lord -maire devant avoir lieu avant l'enterrement, il s'agit de faire nommer , soit un homme sur lequel on puisse compter pour ne pas s'opposer à l'émeute , soit une incapacité qui s'eftace pour laisser agir Edouard que Mortins pense pou- voir facilement entraîner. C'est donc cette élection qui est le nœud de la pièce , et toute l'action roule sm- les intrijjues pour ou contre les divers candidats ; le dénouement en est le résul- tat, cjui vient tromper toutes les espérances coupables et fait trionqiher le vrai patriotisme.
Le père d'Edouard , sir Lindsey , est im vieillard qui , api;ès une glorieuse carrière, vit dans la retraite , entouré du respect et de la considération de ses concitoyens. Il jouit avec délices <les succès de son lils , mais cherclie à le prémunir contre les dangers de la popularité. •
t<. Ecoule, » lui dit- il,
La popnliiritc, que pour loi je redoule,
Coniincucc, en nous jucnnnt sur ses ailes de feu,
Par nous donner beaucoup cl nous demander peu :
l'aile est amie ardenle ou mortelle ennemie;
El, connue elle a sa gloire, elle a son infamie.
Jeune, tu dois l'aimer; son charme décevant
Fait ballre mon vieux cœur; il m'euivre; et souvent
Au ibnd de la trilmne où la voix nje reu>ue,
Quand d'un même transport toute une chambre énuie
Se lève, t'applaudit, le perle jusqu'aux cieux.
Je sens des [)louis divins me rouler dans les yeux :
l^Iais si la volon'.é n'est égale au génie,
Celle faveur bientôt se tourne eu Ivrannic ;
HtSTOIRE. 3
Tel qui croit la conduire est par elle entraîné : Elle demande alors plus qu'elle n'a donné. On fait pour lui complaire un premier sacrifice, Un second, puis un autre ; et quand à son caprice On a cédé fortune, et repos, et bonheur, Elle vient fièrement vous demander l'honneur; Non pas cet honneur faux qu'elle-même dispense, Mais l'estime de soi qu'aucun bien ne compense. Ou l'honnête homme, alors, ou le dieu doit tomber; Vaincre dans cette lutte est encor succomber. On résiste, elle ordonne; on fléchit, elle opprime Et traîne le vaincu des fautes jusqu'au crime. De son ordre au contraire, avez- vous fait mépris ; Cachez-vous, apostat, ou voyez a ses cris Se dresser de fureur ceux qu'elle tient en laisse, Pour flatter qui lui cède et mordre qui la blesse : Des vertus qu'ils n'ont plus, ces détracteurs si bas, Ces insulteurs gagés des talens qu'ils n'ont pas; Elle excite leur meute, et les pousse, et se venge En vous jetant au front leur colère et leur fange. Voilà ce qu'elle fut, ce qu'elle est de nos jours, Ce qu'en un pays libre ou la verra toujours; Et s'il faut être enfin ou paraître coupable. Laissant là l'honneur faux pour fhonneur véritable. Souviens-toi qu'il vaut mieux tomber en citoyen Sous le mépris de tous, que mériter le sien.
De tels vers rachètent bien des défauts. Cette éloquence gi'ave et pure produit un grand eft'et , et , comme je le disais tout-à- l'heure , on y retrouve tout le talent qui a fait la renommée de M. C. Delaviane. Mais pourquoi Edouard, après avoir entendu son père pai-ler ainsi , et lui avoir signalé , lui-ménre , lord Derby comme un partisan des vieux privilèges , se laisse-t-il ensuite entraîner par lady StrafTord à nommer lord-nraire ce même Derby ? On répondra sans doute que l'amour est ca- pable de tout. IMais que signifie cet amour si confiant pour une femme qu'il pai-ait bien peu connaître , puisqu'il ignore qu'elle est le bras cb'oit du prétendant et qu'elle revient à Londres pour le gagner à sa cause? Cela paraît assez peu vraisemblable. Et ce qui l'est encore bien moins, c'est le rôle de Thomas Goff, chef de parti populaire , industriel riche et influent, qui est représenté comme le plus zélé adjnirateur d'E- douard , mais qui est si béte et si ignorant qu'on lui fait croire à peu près tout ce qu'on veut, et qu'il est incapable de pro- noncer quelques phrases de suite lorsqu'il vient complimenter Eklouai-d de la part du peuple. C'est le personnage comique de la pièce; mais il n'est que ridicule et tout-à-fait faux. Un lionune de talent comme Edouard a des ajjpuis plus inteUi-
• LITTÉRATURE,
j»cns et plus (xlairés que ce stupide Goll ; ci d'une autre part, à qiielque disse de la société qu'apparticiuie un ( luf de parti popixlairc , il a toujours, plus ou moins, le don do la parole qui est son principal moyen d'influence.
Mortins se laisse éjjalenient tenter par l'espoir de renverser le ministère en se coalisant avec le parti des Stuarts , et le mot d'ordre étant donné aux électeurs , lord Derby est nomme lord-maire. Cependant le convoi va avoir lieu : le bruit se répand cju'une émeute républicaine se prépare ; en même tenjps arrive la nouvelle que le Prétendant a obtenu quel- ques avantages. Effrayé de la tournure que prennent les affaires, lord Derby, à peine installé, abandonne son poste et laisse toute la responsabilité à Edouard , premier aUÎerman. C'est ce que Mortins désirait; aussi, comptant sur le concours de son ami , il se réjouit déjà du succès de ses plans. Mais Edouard se souvient des leçons de son père , et en présence du danjjer qui menace, il sent la nécessité de tout sacrifier au salut du pays. En vain Mortins supplie , en vain il emploie toute son éloquence à plaider sa cause , en vain il lui montre une lettre signée de sir Lindsay adressée à Walpole , tjui sem- ble prouver que le père d'Edouard s'est déjà dans son temps vendu pour une somme d'argent ; cette lettre lui a été confiée par un journaliste qui doit l'insérer dans sa feuille le lendemain si Edouard ne cède pas. Edouard ne veut rien entendre ; il rompt brusquement avec la popularité , il se tourne du côté du ministère qu'il combattait la veille , il le soutient , le dé- fend contre l'émeute et lui assure la victoire. Alors les jour- naux se déchaînent contre celui qu'ils appellent un traître ; la fatale lettre est publiée et Edouard se voit accusé de s'être vendu comme son père , tandis que lady StrafFord , désignée connue la maîtresse du Prétendant, est aussi en butte aux soupçons injurieux. Edouard sent bouillir son sang , l'indi- gnation le saisit en présence de ces attaques injustes ; mais son vieux père accourt le presser dans ses bras et le féliciter avec une sainte joie d'avoir su préférer l'honneur véritable à toutes les trompeuses illusions de la gloire. Ses paroles plei- nes de noblesse raffermissent Edouard dans sa résolution ; lorsque Mortins et Thomas Goff viennent au nom des élec- teurs lui demander de résigner son mandat dont ils préten- dent qu'il n'est plus digne, il leur répond par un refus et leur déclare qu'il le conservera tant qu'il jugera pouvoir faire quelque bien au pays. Il trouve aussi dans l'approbation de son père le courage de renoncer à la main de lady Strafford qui refuse les offres généreuses de son amour pour suivre la fortune du Prétendant. Enfin sir Lindsay, pour toute réponse à la kure qui seml)le accuser sa probité , montre à Mortins
HISTOIRE. j
une lettre de son propre père, qui, chargé d'une mission en France , s'était tué après avoir perdu au jeu la somme deman- dée à Walpole et destinée à faire passer en Angleterre les industriels exilés par la révocation del'Editde Nantes. Quand il a lu cette lettre , le vieillard la déchire , et Mortins , vive- ment touché de cette grandeur d'âme , déclare que dès le lendemain il défendra dans son journal la probité de sir Lind- say et la proclamera partout.
Tel est le canevas de cette comédie ; on voit qu'il n'y a ni action, ni intrigue, ni intérêt, ni force comique. Un seul caractère est bien soutenu, celui de sir Lindsay ; tous les au- tres personnages sont de ces esprits flottans qui sont poussés dans les affaires politiques par un besoin d'activité , par l'am- bition, ou le goût de l'intrigue ; mais qui n'ont aucune con- viction forte et stable. Ce sont bien des hommes de l'époque actuelle , mais ils sont déplacés dans celle de la pièce et sur le lieu de la scène. Les deux plus vrais sont peut-être juste- ment ceux qui ne jouent qu'un rôle secondaire , savoir un égoïste, type de ces gens qui craignent tout ce qui peut mena- cer leur paisible existence , et appuient tout gouvernement existant par cela seul qu'il existe , et un journaliste qui vend sa plume à qui veut la payer, et après avoir soutenu la cause du Prétendant , se fait organe du parti démocratique parce qu'Edouard a refusé d'acheter son dévouement. Mais , je le répète , la popularité ne saurait fournir le sujet d'une comé- die ; elle ne peut guère enfanter que des drames assez som- bres , et pour la peindre avec tous ses charmes enivrans, avec tous ses périls et ses chances terribles , il faut la prendre au milieu des convulsions politiques , au sein même des révolu- tions les plus violentes. Hors de là , elle ne fournit c^u'un texte à des déclamations , très-justes sans doute et qui peuvent être fort éloquentes , mais qui sont froides et n'ont rien de dramatique.
La meilleure partie de la pièce de M. C. Delavigne , c'est le style. On retrouve toujours avec plaisir cette poésie noble et sage dont il est aujourd'hui presque le seul interprète fidèle. Cependant, même sous ce rapport, on dira peut-être qu'il s'est un peu négligé , parfois ses phrases sont obscures , et dans les scènes où Edouard paraît avec son père, on désap- prouvera, je crois, ce mélange de tu et de vous employé selon la convenance du vers , sans égard pour celle des situations. Ce sont de bien légères taches sans doute, mais qui frappent plus vivement de la part d'un écrivain tel que l'auteur du Paria , des Vêpres Siciliennes et de tant d'autres pièces si remarquables par leur harmonieuse pureté de style.
G LITTÉRATURE ,
AMJiXTE ET MÈRE; par P.-L. Jacoh , hibliopliifc. —Paris, 1839.
'2 \ol. in-S, Jâ fr.
11 serait difTidlc d'imayiner quelque chose de plus trivial, de plus repoussant , de plus hideux , sous tous les rapports , que cette production nouvelle de M. Jacob. Ah ! monsieur Jules Lacroix , vous voilà dépassé ! votre confrère le biblio- phile a usui'pé vos domaines et vous a ravi , dans un seul ro- man, la matière de plus de dix volumes. Séparation, adultère, meurtre, mauvaise mère, mauvais fils, empoisonnement, ac- cusation calomniatrice, un fils cjui bat sa mère, qui menace son père, enfin un parricide tué par son père dont il voulait faire sa victime : tout cela réuni, entasse dans un même récit dont les bornes ne s'étendent guère au-delà de l'intérieur d'une seule famille! Pendez-vous, monsieur Jules Lacroix, tous vos romans })âlissent devant celui-ci. J\L Dauron , ennuyé de sa femme dont les exigences l'obsèdent et viennent contrarier tous ses goûts , se décide à la quitter et part subitement pour un grand voya|>,e. Aussitôt qu'elle s'en aperçoit elle prend la poste pour le poursui\Te, et arrive au Havre à l'instant où le bâtiment qui emporte son mari met à la voile. Scène violente , résolution désespérée ; IM""' Dauron monte dans une barque et exige qu'on la conduise à bord , mais en vain les bateliers font tous leurs efforts , le vaisseau s'ébranle, un vent favorable enfle ses voiles, il disparaît à l'horizon ; la mer devient mauvaise, un orage se déclare, et la barque, abandonnée à la merci des va- gues , eût sans doute péri , si elle n'avait eu le bonheur de rencontrer un bâtiment de guerre sur lequel M™*" Dauron est recueillie et soignée par le chirurgien qui devient son amant, et qui , blessé dans une rencontre avec l'ennemi , obtient son congé pour suivre sa conquête à Paris où il s'installe chez clic en véritable remplaçant du mari. Lormeuil , c'est le nom du chirurgien , est un mauvais sujet de fort mauvaise société, un vrai chenapan gTossier et brutal, qui jure connue im matelot et s'érige bientôt en despote absolu dans la maison Dauron. Il force madame à envoyer les enfans à la campagne avec leur grand'mère , il dissipe dans les maisons de jeu tout l'argent qu'elle lui donne ; 11 expulse les amis qui lui déplaisent , il tue l'un d'eux dans le(|ucl il redoute un rival. Ce dernier trait révolte jM*"" Dauron, car fatiguée de sa tyrannie elle s'ap- prêtait, en eiïet, à lui donner un successeur. Alors pour se venger, elle prétend que les rats l'enqu'client de dormir, et Lormeuil s'empressant d'acheter de l'arsenic pour les tuer, elle avale une forte dose de ce poison après avoir eu soin d'é- loigner tout son momie de manière à rester seule dans la mai-
HISTOIRE. 7
son avec son ami ; puis elle déclare à celui-ci qu'elle va mourir, que la police, avertie par elle, va venir l'arrêter comme uu assassin , et que toutes les présomptions étant conti-e lui , il expiera bientôt sur la place de Grève la mort de l'homme qu'elle aimait et qu'il a tué ! Mais Lormeuil s'enfuit par la fenêtre , et quittant en toute hâte la France échappe au juge- ment qui le condamne à mort par contumace.
Vous croyez peut-être le roman fini et vous pensez que voilà bien assez d'horreurs, mais patience, nous ne sommes encore qu'à la moitié. Au commencement du second volume, nous retrouvons M""" Dauron qui n'est point morte ; il paraît qu'elle a la vie dure. Depuis le fatal événement, ses enfans ont grandi ; son fils est le digne émule de Lormeuil dont il imite tous les vices, ce qui ne l'empêche pas d'être l'enfant chéri de sa mère ; tandis que sa sœur est délaissée, méprisée, maltraitée même. M™* Dauion donne son argent à son fils comme elle le donnait à son amant, et l'un comme l'autre l'emploie à alimenter une funeste passion pour le jeu. Seulement sa fortune, déjà fort endommagée par les brèches qu'y a faites Lormeuil , ne peut suffire long-temps à l'insatiable jeune homme qui la conduit rapidement à sa ruine. Cependant M. Dauron, revenu de ses grands voyages avec force curiosités de tout genre , dont il est amateur fou , songe un beau jour à sa fille qu'il destine à l'un de ses plus chers amis. Il vient donc avec lui pour la réclamer; mais la mère se fâche , et le fils prenant un fusil menace son père, le couche en joue, lâche la détente, et le plomb va blesser légèrement l'ami. Enfin ils réussissent, non sans peine, dans leur projet et emmènent la jeune fille dont sa mère voidait faire une sœur grise pour s'en débarrasser. Lorsque M"'' Dau- ron n'a plus d'argent à donner à son fils, il lui prend ses bijoux parmi lesquels se trouve^ un médaillon qui en le faisant recon- naître dans la maison de jeu où il l'offre comme gage, amène la plus épouvantable conclusion. Le maître de cette maison n'est autre que Lormeuil rentré en France sous un nom sup- posé, et lorsque le jeune homme l'a découvert, il conçoit le projet de se faire rembomser toutes les sommes qu'on lui a gagnées : il inenace Lormeuil de le dénoncer et le fait ainsi consentir à tout. Pendant que ce marché se traite, ISl""" Dauron survient pour arracher son fils de ce repaire ignoble ; elle en- tend les clauses de ce honteux compromis, elle veut s'y oppo- ser ; pour arrêter ses cris , Lormeuil l'enferme dans une chambre avec son fils, et celui-ci ne voit rien de mieux à faire que de la battre jusqu'à ce qu'elle tombe sans connaissance. Sur ces entrefaites la police arrête Lormeuil comme fabricant de faux billets de banque. Alors M. Dauron, voyant sa femme sur le point d'être de nouveau compronnse dans un procès
8 ;i.m ÉRATURE ,
scandaleux, se Sêjit auiinéd'uu mouvement }*éiiéicux pour elle ;
il revient et lui offre un nouvelle part de sa l'ortune ; mais le fib,
convoitant l'or dont il voit son père si prodigue , essaie pendant. lUie nuit de s'en emparer en forçant la caisse. 31. Dauron, ré- veillé par le bruit, saisit une arme et envoie une balle dans le corps du voleur ; celui-ci avant de mourir a encore la force de courir sur son père et de lui porter deux coups de couteau qui cependant ne sont pas mortels.
Sic Jinis coroiuit opas. Ainsi se termine l'reuvre par une ca-
. tastrophe digne du reste. Ajoutez que le style est éminemment trivial, semé de gros mots bannis du vocabulaire des lionnctes gens , et vous penserez sans doute avec moi que le bibliophile Jacob, en épuisant ainsi l'arsenal du hideux, a voulu faire une sanglante satire de ce genre de romans. C'est le seul moyen d'expliquer un pareil tissu d'infamies. Autrement ce serait, en vérité, à désespérer tout-à-fait de notre littérature romancière, que de voir des auteurs dont le nom a de l'éclat et même quel- que mérite réel, chercher ainsi leurs inspirations dans la fange des égoûts les plus impurs.
EVGÈ.ifE; par Emile Barrault. 2 vol. in-8, 16 fr. = LE NEVEU D'CI» LORD; par Jules Lacroix. 2 vol. in-8, 15 fr. = le RÈVE d'I'NB MARIEE; par Mole Gentilhomme. 1 vol. in-8, 15 fr. = CàTHERiSE DE LESCUN, quatre années du règne de Louis Xill, 1GI8-1C22 ; par Eug. des Essarts. — Paris , 1839 , 2 vol. in-8 , 15 fr.
Après avoir essayé d'abord de régénérer la société et de fonder une religion nouvelle, les Saint-Simoniens revien- nent à des idées plus modestes , et cliacun utilise ses facultés en suivant simplement quelqu'une fles routes ordinaires de l'inteUigcnce. Il en est (jue leur talent et leur savoir-faire ont poitcs à de hautes fonctions ; d'autres , comme jM. Bar- rault , se bornent aii rùle d'écrivain et ne dédaignent pas de se faire romanciers après avoir voulu être apôtres. Leurs anciennes théories sociétaires se font jour d'une manière ou de l'autre dans leurs écrits ; on doit s'y attendre , aussi en trouve-t-on bien quehjues traces dans £(ii;(-/ie , roman qui
fasse en revue la plupart des positions sociales et fournit à auteur l'occasion de traiter maintes questions importantes. Cest im long récit rempli d'incidens nombreux , mais qui n'oft're pas un intérêt bien vif; le style de l'auteur ne paraît pas non plus très-propre à ce genre d'ouvrage ; il est en général dune gravité un peu raide. Du reste, son roman res- semble à la plupart de ceux qu'on fait aujourd'hui : son in-
HISTOIRE. y
trigue repose presqu entièrement sur ladultère ; mais il a du moins l'originalité de présenter une femme qui ne s'en fait pas un jeu , et qui, entraînée par de fatales circon- stances , demeure après sa chute encore digne de l'amour de son mari.
— Le Neveu d'un Lord est une de ces monstruosités lit- téraires que BI. Jules Lacroix enfante avec une effrayante fécondité. A peine a-t-on eu le temps de lire son Bâtard que voici deux nouveaux volumes remplis de nouvelles horreurs. Ici c'est un neveu qui , pour hériter des biens et des titres de son oncle , exécute le complot le plus infâme et ne recule ni devant la calomnie , ni devant le meuitre. Son but est de faire disparaître im enfant que le lord a eu après de longues années de mariage , et pour cela il lui persuade que sa femme l'a trompé, que cet enfant n'est pas de lui. Cette trame per- fide , tissue avec toute l'habileté d'un coquin de profession , est sur le point de réussir , lorsque tout se découvre , et l'oncle à son lit de mort dénonce son neveu et le livre à la justice comme coupable de meurtre.
En vérité , je ne pense pas qu'aucun recueil de causes cé- lèbres puisse rivaUser avec la collection des romans de M. J. La- croix pour le nombre et la variété des crimes. Son imagination peutdéfier les fastes du palms de justice. Il ne rêve jamais qu'assassinat, viol , adultère, etc. , etc. Ses romans font la so ciétéj presque tout entièrejdigiie du bagne et de l'échafaud. On ne conçoit pas qu'un tel homme ne deviemie pas tout-à- fait misanthrope et ne coure pas se réfugier au sein des fo- rêts pour y vivre plutôt avec les loups et les ours , ou pour se pendre à quelqu'arbi-e bien haut. S'il fait quelques em- prunts à la vie réelle , c'est toujours pour dévoiler d'épou- vantables forfaits cachés dans les annales secrètes des familles. Mais les passions ci'iminelles ne sont pour lui qu'une matière exploitable dont il pense tirer des effets saisissans qui émeuvent et captivent les lecteurs. Il ne deviendra donc pas misan- thrope , il ne se pendra pas , mais continuera paisiblement à suivre cette sombre route tant qu'il y recueillera du profit et que ses romans de cour d'assises trouveront des acheteurs.
— Le Rêve d'une Mariée appartient également à la littéra- ture galvanique , et M. jMolé Gentilhomme n'a pas l'habileté de ]M. J. Lacroix pour nouer et dénouer une intrigaie , pour intéresser le lecteur par des détails et des incidens bien mé- nagés , non plus que le talent de style qui donne aux romans de ce dernier une certaine supériorité sur la foule des pro- ductions du même genre. On en concluera sans doute que ce qui est à peine supportable dans le Neveu d'un Lord ne l'est pas du tout dans le Rêve d'une Mariée. C'est un singulier
10 LITTÉRATURE,
fpût que de se plaire ainsi à remuer avec sa plume la fange tle riiuinaiiité.
— Fatifjué de tontes ces inspirations puisées dans les ter- reurs du crime, le lecteur éprouvera presque du plaisir à rencontrer Catliciinc de Lc.icuri, roman iiistoriquc, bien faible, pâle imitation des admirables peintures de Walter-Scott , mais qu'enfin il sera certainement disposé à jujjer, en comparaison des précodens , avec indulgence. Ici du moins on trouve autre chose que ces tristes péripéties de l'adultère , du meurtre et de la séduction. C'est un récit destiné à peindie une époque et à en rappeler les principaux événemens. Il est malheureux que l'auteur ne sache pas mieux captiver l'intérêt et jeter du mouvement dans son œuvre. Des dé- tails minutieux et allongés fatiguent l'attention ; un ton qui vise trop à la l(''j;èreté finit par paraître prétentieux , et l'in- trigue fort endjrouillée est difficile à comprendre et à suivre.
VOYAGE EN ITALIE ; par Jules Janin. — Paris , 1839. Grand in-8, 7 fr. 50 c.
Par un beau jour du printemps dernier, le spirituel feuilleto- niste qui, d'après sa propre expression , s'est fait un trou dans le Journal des Débats où il s'engraisse et s'arrondit, enfourcha sa ])lunie, prit eu croupe son esprit, et emportant sa A'ahse bien pleine de phrases à facettes , partit pour l'Italie à la suite d'un grand seigneur russe. Autrefois , on rencontrait les Mécènes sous le beau ciel du Midi, aujourd'hui il f;iut les aller chercher au milieu des durs frimats de la Moscovie ; et quelque civilisés qu'ils soient, ils conservent toujours un parfum de Tartai'e , qui , en dépit du refrain de Lotlo'iska, est plus ou moins bar- Lare même pour leurs amis. Un érudit me racontait que l'un d'eux, ])our lui prouver sa reconnaissance, voulait à toute force lui faire cadeau d'un homme, et se fâcha presque de ce qu'il ne se souciait point d'accepter son serf. On dit qu'un autre, sur le point d'entrejirendre une expédition scientifique , imagina de faire endosser la livrée à tous les jeunes savans qu'il eiii- menait avec lui. M. Jules Janin a eu plus de bonhem*, sou Mécènes l'a vraiment traité en ami , et il prétend en avoir reçu une Palazzina. Qu'est-ce qu'une 7-'('//r/cr.///<^^'' demanderez- yous sans doute. M.iis ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici ; d'ailleurs, vous n'avez qu'à reganler le dessin quen tîonne M. Jules Janin, sur le titre de son volume, et le joli feuille- ton qu'il en a su tirer pour servir de conclusion à son voyage.
A cheval sur sa plume donc notre feuilletoniste a coiuu
HISTOIRE. 1 1
la poste jusqu'à Lyon , maudit en passant des chemins de fer qui ne sont qu'utiles , lait de la poésie sentimentale sur des ruines inutiles , escaladé les Alpes parla Savoie, grelottant de froid devant les glaciers , tremblant de peur devant les préci- ' pices, et tellement troublé qu'il en avait la berlue. En effet, il a vu sur les montagnes le soleil terne , les fleurs pâles et les hommes stupides ; il a franclii d'un pas l'espace qui sépare la Savoie de la Sardaigne, et il est arrivé à Turin sans savoir comment ; cela se conçoit, on serait étourdi à moins. Sauter ainsi à pieds joints de Savoie en Sardaigne, de Sardaigne en Pié- mont, c'est tout-à-fait fantastique ; et ce qui ne l'est pas moins, c'est qu'après avoir imprimé dans un joiunal de semblables bévues, on les publie de nouveau dans un livre sans y rien changer. Ce ne sont même pas les seules, car il y aurait fort à faire de relever une à une toutes les erreurs de détails que renferme ce volume. IMais M. Jules Janinest accoutumé à trou- ver beaucoup d'indulgence chez ses lecteurs , et il en use sans se faire prier. Il est si amusant ! Il a tant d'esprit î dit-on , et une fois cette réputation bien étabhe par la vague du grand monde , c'est comme Arnal qui ne peut ouvrir la bouche sans qu'on éclate de rire avant même d'avoir entendu ses bêtises : le moindre bavardage signé J. J. est proclamé délicieux , quiconque se permet d'eu critiquer le plus petit passage n'est qu'un lourdaud sans esprit, sans goiit, ni grâce. Cependant, si l'on veut bien se donner la peine de regarder de près ce style si brillant, cet habit d'arlequin surchargé de mille paillettes dorées, que trouvera-t-on dessous? je le demande. Où est l'é- tude , où est le savoir, où est la pensée , ovi est le sentiment ? N'est-ce pas une vraie bulle de savon qui reflète toutes les couleurs de l'arc-en-ciel , et ne renferme que du vent ? Sans doute M. J. J. a beaucoup d'esprit, mais il ne l'emploio pas toujours en homme d'esprit ni près de là. Ce voyage en Italie en est une preuve , car il ne nous offre rien d'original , aucune observation nouvelle, nul trait de mœurs ou de carac- tère digne d'intérêt. C'est une longue causerie moitié artistique, moitié historique, mie nouvelle édition illustrée de beaucoup de verbiages, de descriptions de ruines , de j.alais et de mu- sées, qu'on trouve dans tous les itinéraires à l'usage des tou- ristes. Le seul cachet qui soit bien à lui , c'est la personnahté du feuilletoniste parisien qu'on voit toujours figurer sur le premier ])lan et qui, tout petit qu'il soit, projette son ombre jjLisque sur le fahe des plus grands édifices, s'en fait un pié- destal, et pose sans cesse devant son public favori. Puis il connaît parfaitement les faibles de ce public, et les flatte sans mesure , parlant volontiers de la gloire française , de l'éternel chant de gloire de la grande nation, des glorieuses conquêtes
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(le la Grande Armée. C'est bien rebattu, niais cela produit tou- jours sou elFet, comme la parade du charlatan qui cai)five l'attention des badauds. Par ce moyen, et avec l'aide d'un luxe typographique vraiment remarquable , beaucoup plus remarquable que le livre lui-même , M . J. [ J. obtiendra encore une espèce de succès. Son voyage ira prendre ])lace dans les salons du grand monde ; il figurera parmi les keep- sake de l'année, et vous verre/, qu'on admirera peut-être son érudition latine, son savoir historique et géographique , ses connaissances sur l'art et les artistes. Pourquoi pas ? On a bien pris au sérieux son badinage sur la Palnzzina Lnzznrini , qui, sauf les superfluités du style, me paraît encore le meilleur chapitre de son voyage, le seul où son genre de talent soit à sa place et se déploie à son aise.
PRÉCIS DE L'HISTOIRE DES FBAXCAIS ; par J.-C.-L. Sirtionde lie Sismondi. — Paris, 1839r 2 vol. in-8, 16 fr.
Amvé au vingt-unième volume de son Histoire des Français, qui termine l'époque des guerres rehgieuses, M. de Sismondi a senti l'impossibihté de la continuer jusqu'à nos joru-s, sur un plan semblable. Pour remplir un cadre si vaste, il lui faudrait une seconde vie d'homme , et d'ailleurs les derniers siècles ont déjà été l'objet de tant d'investigations, il existe tant de mé- moires originaux, tant d'histoires particulières sur chacune de leurs époques importantes , qu'ils ne présentaient plus une mine nouvelle à exploiter, et n'exigeaient pas le même genre de travail que les temps plus anciens et moins connus des commen- cemens de la monarchie. M. de Sismondi a donc pensé qu'il va- lait mieux résumer rapidement la fin de cette histoire et la ter- miner ainsi en trois volumes , oftVant un tableau succinct des événemens et renvoyant le lecteur aux sources si nombreuses et si abondantes de l'histoire modei"ne. Afin de se préparer à ce travail si différent de l'autre, il a voulu faire poiu- son Histoire des Français ce qu'il avait déjà fait pour celle des Ré- publiques italiennes , un précis comt et concis de ces mêmes événemens qu'il avait d'abord racontés dans tous leurs détails en recherchant leurs causes et signalant leurs effets au milieu des ténèbres du passé. Il nous donne ainsi les deux premiers volumes d'une Histoire de France , qui sera complétée par les trois derniers de son grand ouvrage , et prendra sans doute bientôt place dans toutes les bibliothèques, descendra dans toutes les classes de la société, succédera de la manière la ]dus avantageuse à l'œuvre si froide , si pâle , si peu intéressanlr
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d .'Viiquetil. On a souvent critiqué M. de Sisniondi sous le l'apport du style , et reprocJié à ses ouvrages d'être des recueils de docuniens à l'usage desérudits, plutôt que des livres d'une lecture agréable et facile. Cependant le succès assez général u'ils ont tous obtenu et qui, vu la position de l'auteur en ehors des cotteries et de la sphère littéraire parisiennes, ne
Eeut être attribué qu'à leur mérite réel, proiive d'une manière ien remarquable qu'il y a eu quelque injustice dans ces sé- vères jugeinens. Si le style de M. de Sismondi n'a pas toute la grâce, tout l'éclat et le coloris désirables, on ne saurait nier qu'il offre en général la noblesse et la gravité nécessaires à l'histoire. Il ne possède pas cette brillante phraséologie de nos écrivains actuels , ses périodes ne sont pas coupées avec autant d'élégance , il y a peut-être quelquefois im peu de pe- santeur dans leur marche, mais aussi combien la pensée s'y révèle et s'y soutient plus fortement ! il ne fait pas du style, il n'entasse pas des mots sur le vide, la langue n'est pour lui qu'un instrument dont il se sert pour exprimer ses idées, et l'a- bondance de celles-ci fait volontiers oublier ce c{ui peut lui manquer de raffinement dans l'art d'écrire. Il possède d'ailleurs au plus haut degré une quahté précieuse c|ue rien ne saurait remplacer chez l'écrivain , et qui peut souvent lui tenir heu de beaucoup d'autï-es : c'est un cœur chaud et généreux , mie âme élevée qui comprend tout ce qui est grand et beau , une conviction profonde qui donne à toutes ses paroles l'accent de la franchise et de la sincérité. C'est à ces rares avantages et à un amour de l'étude malhem-eusement encore plus rare au- jourd'hui , que M. de Sismondi doit la place qu'il occupe parmi les premières illustrations littéraires de notre époque. Historien indépendant et consciencieux, il s'est acquis un noni moins brillant peut-être, mais plus solide et plus durable que beaucoup d'autres.
FASTES MÉMORABLES l)K LA FKAXCE ; par le comte de V aublanc , ancien ministre de rintérieur. — Paris , chez Ab. Clierbiiliez et Cie, 1838. Ia-8, 3 fr.
Retracer rapidement les principaux faits de l'histoire de France, renfermer dans un seul tableau les titres les plus glo- rieux à l'admiration de tous , rapprocher les unes des autres les époques qui ont vu la puissance française s'élever au plus-Jiaut degré , tel est le but que s'est proposé dans cet écrit M. le comte de Vaublanc. Passant en revue les annales de la monarchie française, depuis son origine jusqu'à Louis XI\,
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il eu donne un résumé brillant qui renferme tout ce nue l'histoire offre de plus {grandiose, de plus poétique , de plus propre à exciter l'enthousiasme. On s'abandonne volontiers à ces souvenirs du ])assé, et le contraste qu'ils font à côté de la physionomie pâle de notre époque, vous entraîne parfois à oublier les abus qui les accompagnaient, à ne voir que le côté {jjlorieux et chevaleresque de ces temps où l'individualité ré{jnait encore dans toute sa force. Alors de nobles et grands caractères exerçaient une puissante influence et pouvaient se développer avec énergie ; il est vrai qu'alors aussi l'homme méchant , animé de passions violentes, était plus redoutable qu'aujourd'hui , et pouvait également faire beaucoup de mal. Les institutions n'étaient pas encore assez fortes pour imposer leur joug à tous , mais jusqu'à présent l'esprit avec kxpud on a travaillé à leur donner cette force nouvelle n'a guère réussi qu'à en faire une espèce de niveau qui ne produit l'égalité que dans la médiocrité, une sorte de lit de Procuste, fatal aux bons génies comme aux mauvais. La liberté n'a point pris son essor; en rompant ses fers on a coupé ses ailes, et tant qu'elles n'auront pas repoussé, on n'en peut rien espérer de grand ni de glorieux.
En attendant , nous devons étudier les pages de l'histoire et les leçons qu'elle donne non-seulement aux rois , mais à tous ceux qui veulent les écouter. Si l'avenir a pour jamais rompu avec le passé , si nous marchons en aveugles vers des destinées inconnues, charmons du moins la route par la poésie des souvenirs ; les vertus héroiques des anciens temps ne pour- ront qu'élever et ennolilir notre àme.
1/ouvrage de M. le comte de A aublanc est un excellent guide au milieu des fastes de la monarchie française ; il ne s'arrête que sur les choses vraiment mémorables, et déroule à nos yeux un tableau aussi éloquent par le sujet lui-même que par la manière dont il est traité. C'est un digne plaidoyer en faveur des qualités généreuses et brillantes du caractère français , et en même temps un mémorial intéressant des faits principaux de l'histoire. A aucune époque, en eflet, les grands caractères n'ont manqué ; lorsque les souverains n'en oiVraient pas eux-mêmes l'exemple , la noblesse, l'armée ou la maj;istrature y suj)pléaient. Il est donc facile de retrou- ver ainsi dans le passé unt- chaîne non interrompue de grandes actions, sans pour cela se faire l'apologiste flagorneur de cer- tains princes et de certains actes que la ]iostérité a justement flétris de sa réprobation. INI. de Vaublanc, quoique partisan de la vieille monarchie, ne se montre point aveuglé par l'esprit de parti. 11 a des blâmes sévères pour tout ce qui est contraire à la justice , et Louis XI , Charles L\ cl quelques autres sont
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jugés par lui avec une véiitaljle impartialité. Louis XIV lui- même , quoiqu'il admire hautement en lui'' le grand roi dans sa vie pirblique et l'homme dans sa vie privée , Louis XIY lui paraît mériter de vifs reproches et avoir terni la gloire de son règne par la révocation de TEdit de Nantes. Il voit dans ce fait, ainsi que dans celui de la Saint Barthélémy, une grande preuve du danger de mêler la politique avec la religion , de laisser celle-ci se glisser dans le gouvernement avec son cortège de dis])utes théologiques, d'intolérance et de persécution. L'ap- préciation cpi'il donne du guet-à-pens des Guise contre la Réforme, nous a paru fort remarquable. A cette époque, selon lui, la cause protestante était la cause vraiment nationale, car elle avait les Bourbons à sa tète, et ses ennemis étaient les alliés, les créatures de l'Espagne.
« Ne soyez pas séduits , '> dit -il , « comme on le fut alors par » les éminentes qualités et la gloire du premier duc de Guise , » et dites s'il n'avait pas évidentment le projet d'écraser les » Bourbons , et s'il était dans les choses possibles que les Bour- » bons pussent sépai*er leur cause de la cause de leur rchgion. » C'eût été se livrer en esclave à leurs ennemis déclarés , c'eût » été abandonner le trône vers lequel tendaient ces étrangers. » Si des deux côtés on employa les meurtres, quelle énorme » différence ne voyez-vous pas entre les protestans, toujours » occupés de leur propre sûreté, et les catholiques, si nom- » breux et si forts par l'appui de l'autorité souveraine ! Dans » cet examen moral de la conduite des deux partis , quel poids » met dans la balance l'horrible Saint-Barthélémy l Vous savez » que les protestans ne pouvaient vouloir que tous les Français » adoptassent leur religion , tandis que c'était un dogme con- » sacré par les chefs du parti o]iposé , que tous les protestans » devaient être exterminés , afin que la France ne connvit » qu'une seule religion. Ils faisaient de la cause divine leur » propre cause , et lorsque l'homme ose s'ériger en vengeur » de la loi divine, par ce sentiment seul il est criminel ; comme » ministre des vengeances suprêmes , il doit se porter aux plus » horribles excès ; le meurtre devient un devoir pour lui , et » il boit avec plaisir le sang de ses semblables. C'était ce que » savaient trop bien les Guises et leurs amis. »
Cette manière de voir nous paraît beaucoup plus juste et plus conforme à la vérité, que l'opinion de M. Capefigue et de
λlusieurs autres écrivains , qui prétendent que le massacre de a Saint-Barthélémy fut le résultat inévitable de l'exaspération populaire contre les protestans.
^D'autres passages , non moins intéressans dans ce volume , sont ceux où M .*de \aublanc raconte le dévouement de Jeanne d'Arc , sans avoir recours aux miiaclcs , et peint le caractère
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du fameux cardinal de liiclielicu qui , dit-il , « lut, pendant, » dix-huit ans , monarque de la France. »
Ecrit avec chaleur et entraînement , ce petit ouvrage obtien- dra sans doute le succès qu'il mérite , et ne pourra qu'ajouter encore à la réputation littéraire de l'auteur qui , dans un âge fort avancé, a conservé toute l'activité de ses facultés intellec- tuelles.
viTA Di CATERINA l»E' MEDici, saggio storicoldi Eugenio Albe ri. — Firenze, 1838. 1 vol. in-8.
Cet Essai historique sur la vie de Catherine de Médicis , est un plaidoyer habilement fait par un Itahcn , en faveur de l'Italienne reine de France. C'est un long panégyrique inspiré par l'amour-propre national, blessé des accusations que la plupart des historiens ont portées contre Catherine et son ca~ ractcre italien. La thèse soutenue par BI. Albéri est la même que M. Capefigue a déjà mise en avant dans son ouvrage sur la Réforme. Selon ces deux écrivains , Catherine et son fils fu- rent tout-à-fait innoccns de la Saint-Barthélémy ; ils voulaient la tolérance et la paix ; leur résistance ne céda que devant des circonstances impérieuses qui la rendaient plus dangereuse qu'utile. L'histoire aurait donc , jusqu'à ces derniers temps , calomnié Charles IX et sa mère , et , ce qui est surtout fort extraordinaire, les catholiques eux-mêmes se seraient rendus coupables de ce méfait; car, quoique ces messieurs répètent sans cesse dans leurs pièces justificatives : « Les écrivains pro-
» testans, aveuglés par l'esprit de parti, ont dit , » ils ne
peuvent nier qu'un plus grand nombre encore d'écrivains ca- tholiques ont dit les mêmes choses. On ne voit d'ailleurs pas quel intérêt les protestans avaient à accuser Catherine et son fils. Leur politique , au contraire , devait être de se ménager mi pareil appui s'il y avait la moindre chance de l'obtenir.
M. Albéri débute par offrir un tableau très-bien tracé de l'état des mœurs en France , à l'époque où Catherine , encore toute jeune , y vint pour être fiancée au second fils de Fran- çois r ' . La noblesse était encore un peu barbare ; la dissolu- tion la plus grande régnait à la cour, et le roi lui-même don- nait rexcmple de la